Février 2002
Journeau, Vivaldi, Gershwin
Ain't got a friend
My only sin
Is in my skin
What did I do
To be so black and blue
Fats Waller, Black and Blue
Journeau au piano
Les amateurs éclairés auront découvert Maurice Journeau avec l'enregistrement de son Quatuor
à cordes, paru il y quelques mois : une grande et belle uvre, du niveau des
quatuors de Ravel et Debussy. Skarbo publie aujourd'hui une trentaine de ses uvres
pour piano seul, jouées les unes par Thomas Betz, les autres par Jean Micault (1 CD SKARBO DSK 1011).
Journeau, qui nous a quittés en 1999 à près de 101 ans, n'était pas, on le sait, un
musicien professionnel ; il a composé une uvre considérable, que jalonnent ses
pièces pour piano, depuis la Valse (1921) jusqu'aux Impressions Fugitives (1983).
Sa musique, typiquement française, s'inscrit dans la lignée de Fauré, Debussy, Ravel,
Poulenc. C'est avant tout un mélodiste et un harmoniste ; en d'autres termes, sa musique,
ni austère ni absconse mais subtile, est écrite avant tout pour le plaisir de
l'auditeur, un plaisir raffiné. Ce qui n'exclut pas la recherche, essentiellement
d'harmonies, de timbres et de rythmes ; mais l'innovation est toujours subordonnée, fort
heureusement, au plaisir de l'écoute. On placera sans hésiter Journeau tout près de
Poulenc et Roussel, au-dessus de Déodat de Sèverac. Qu'il ait fallu attendre sa
disparition pour le découvrir par le disque est attribuable pour une bonne part à sa
discrétion : Journeau n'était pas un homme de media.
Vivaldi : enfin du nouveau
Vous aimez Vivaldi, mais vous n'en écoutez jamais, lassé, rassasié jusqu'à
l'écurement par le rabâchage des Saisons et autres concertos, qui nous poursuit
jusque dans les musiques d'attente téléphoniques. Eh bien, voici un disque qui vous
réconciliera avec le Prêtre roux : six concertos " tardifs " pour
violon, composés vers la fin de sa vie, et enregistrés pour la première fois, par
Giuliano Carmignola au violon baroque et l'Orchestre Baroque de Venise dirigé par Andrea
Marcon (1 CD SONY SK 89362).
Tout d'abord, plus rien ou presque des " ficelles " qui ont fait dire que
Vivaldi avait composé non 555 concertos, mais 555 fois le même : Vivaldi innove, dans la
forme, dans la ligne mélodique, dans l'harmonie, dans la structure rythmique. Les
mouvements rapides sont plus brillants, les mouvements lents plus tendres et romantiques.
Et le violon baroque de Carmignola n'est pas cet instrument souffreteux du triste baroque
des académies, mais un violon chaleureux, lyrique dans les largos, brillantissime dans
les allegros. Enfin, l'orchestre est doté d'un continuo qui ne se limite pas à
un clavecin, mais lui en ajoute un deuxième, un orgue, ou un luth. Tout cela pétille,
non comme de l'asti spumante éventé, auquel s'apparente le Vivaldi rabâché,
mais comme un champagne brut de grand millésime. Vive Venise !
Porgy and Bess en DVD
Le DVD vidéo musical - entendons un DVD où sont enregistrés à la fois le son et
l'image d'un opéra ou d'un concert - n'est pas seulement un support technologique nouveau
capable de redonner vie à une édition phonographique de musique classique qui ne se
porte pas bien (le prix des lecteurs DVD les met désormais à la portée de tous) : c'est
un progrès plus que notable en raison à la fois de la qualité du son et de celle de la
vidéo, et, accessoirement, de la souplesse d'utilisation due à l'accès direct et au
choix des sous-titres, etc. Ceci est particulièrement frappant dans l'enregistrement de
l'opéra Porgy and Bess de George Gershwin, réalisé en 1993 avec la production
de Covent Garden reprise de celle de l'Opéra de Glyndebourne (1 DVD vidéo EMI 4 92496 9). Porgy
and Bess est l'oeuvre la plus achevée de Gershwin, et aussi une uvre-culte
pour beaucoup de mélomanes ; non parce qu'elle recèle des airs qui sont devenus des
standards de jazz, mais parce qu'elle suscite une émotion véritablement intense,
infiniment plus que n'importe quel opéra de Wagner, Strauss, Verdi ou même Puccini, tout
en étant d'une extrême originalité en matière mélodique, rythmique et harmonique. Ce
fut, on le sait, la deuxième tentative de Gershwin, après l'échec du mélodramatique Blue
Monday, et le premier opéra consacré à des Noirs américains - on dit aujourd'hui
Afro-Américains. C'est aussi une uvre très fidèle à la culture des Noirs du Sud,
à cent lieues du paternalisme style Oncle Tom, et concentrez votre écoute non sur les blue
chips comme Summertime, It ain't necessarilly so, ou Bess you
is my woman now, mais sur les airs moins connus, les chorals, les récitatifs, le
fabuleux quatuor vocal du dernier acte Where is my Bess : cet opéra est un
authentique chef d'uvre. Grâce à des chanteurs qui sont de vrais acteurs, et à
des décors, une mise en scène et une prise de vues remarquables, la version DVD fournit
une qualité d'émotion que l'on ne saurait trouver que dans la représentation in
vivo elle-même. Porgy (Willard White) est un superbe baryton, Bess (Cynthia Haymon)
est très belle. Deux heures de pur bonheur.