Octobre 2003
Contre la routine
On s'ennuie de tout mon ange,
c'est une loi de la nature, ce n'est pas ma faute.
Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses
Quelques disques pour ceux que lassent les nièmes enregistrements des Sonates de
Schubert ou des Concertos de Brahms.
Collections
Sous le titre Rond-point des musiciens, Accord présente des enregistrements de
compositeurs peu joués, comme Scriabine (1
CD ACCORD 472 343 2), Duparc (1 CD ACCORD 472 356 2), Ropartz (1 CD ACCORD
472 345 2). Le disque de Scriabine est consacré
aux Études pour piano. Il parcourt toute la vie du plus original des
compositeurs russes, depuis le démarquage - réussi - de Chopin en dix fois plus virtuose
et plus complexe (opus 8), jusqu'aux pièces atonales et mystérieuses de l'opus
65, superbement jouées par Michaël Levinas, et se termine sur le très bel opus
2 écrit à 15 ans ; un très grand disque.
Duparc, mort à 85 ans en 1933, n'a laissé que 17 mélodies, notamment sur des poèmes de
Baudelaire, intemporelles, dont neuf sont interprétées ici par Françoise Pollet
accompagnée par l'Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy dirigé par Jérôme
Kaltenbach, et quelques pièces orchestrales très rarement jouées comme Danse lente
et Aux étoiles, de style mi-Franck mi-Wagner, plus convenues.
Le disque consacré à Guy Ropartz (1864-1955) est une véritable découverte. Le Requiem,
une Messe Brève, et un Psaume, pour solistes, choeurs et orchestre,
sont interprétés par des solistes, le Choeur régional d'Ile-de-France et l'Ensemble
instrumental Jean-Walter Audoli, dirigés par Michel Piquemal. Ceux qui aiment la musique
exquise et sans effets, propre à la méditation, se demanderont avec nous pourquoi ces
oeuvres profondes et lumineuses, dans la droite ligne de Fauré, sont si peu jouées.
Arion consacre sa collection "L'art de... " aux instruments classiques comme le
cor (1 CD ARION ARN 60605), moins classiques comme la lyre harmonique (1 CD ARION ARN 60604),
et même à la musique mécanique (divers instruments) (1 CD ARION ARN 60606).
La lyre harmonique est un instrument amplifié à cordes en cristal aux possibilités
quasi infinies et qui crée une atmosphère onirique. Le disque consacré à la musique
mécanique présente une belle panoplie d'ancêtres du phonographe : pianos mécaniques,
orgues Limonaire, boîtes à musique, bastringues, etc.
Dans un disque consacré au hautbois, qui aurait pu figurer dans cette collection, Éric
Speller joue des pièces d'Antal Dorati et de Heinz Holliger (1 CD AMBROISIE AMB 9933).
Le hautbois, s'il est joué par un grand interprète, est un des instruments les plus
expressifs qui soient, proche par son timbre de la voix humaine. On retiendra en
particulier le très évocateur Trittico pour hautbois d'amour, hautbois, cor anglais et
cordes de Dorati.
Monteverdi, Pasduini, Scarlatti
Sous le titre Vespro per la Salute (2
CD PIERRE VERANY PV 703 071), les ensembles vocal
Akademia et instrumental La Fenice ont reconstitué ce qu'a pu être une messe du culte
marial célébrée à Venise vers 1680 après l'épidémie de peste. Il s'agit d'un
ensemble de pièces religieuses de Monteverdi et de ses élèves, c'est à-dire du sommet
de la musique religieuse du 17ème siècle italien. Il faut saluer le travail de
musicologue de Françoise Lasserre qui dirige ces deux ensembles : choix et
interpénétration des pièces vocales et instrumentales, avec ornements d'époque.
C'est de la méme époque que date le très bel oratorio Santa Agnese de
Pasquini, enregistré par le Consortium Carissimi dirigé par Vittorio Zanon (2 CD PIERRE VERANY PV 703 051). En dépit du caractère religieux, c'est presque d'un opéra qu'il s'agit,
avec une progression dramatique marquée, des airs et des récitatifs typiques de l'opéra
italien.
On connaît plus Domenico Scarlatti pour ses sonates pour clavier que pour sa musique
sacrée, dont cinq pièces ont été enregistrées par le Choir of King's college de
Cambridge (1 CD EMI 5 57331 2) : Stabat mater, Te Deum, Miserere, Magnificat,
Laetatus sum. La basse continue est assurée par un orgue et un violoncelle. Si
vous aimez le chant choral, les polyphonies contrapuntiques de Scarlatti soutiennent la
comparaison avec celles de Bach, avec un style qui est déjà celui du 18ème siècle.
Menuhin, Capuçon
Le Concerto et la Romance n° 1 de Beethoven enregistrés en
1971 avec le Menuhin Festival Orchestra, la Sérénade mélancolique de
Tchaïkovski en 1959 avec le Royal Philharmonic dirigé par Sir Adrian Boult (1 CD EMI 5 62523 2)
: deux inédits de Menuhin. Le Beethoven est un peu faible et à conseiller uniquement aux
aficionados inconditionnels, mais le Tchaïkovski est du grand Menuhin, avec ce
vibrato qui n'appartient qu'à lui et qui va directement au coeur.
C'est un enregistrement de Ravel qui a révélé au grand public les frères Capuçon,
dont Gautier, le violoncelliste, vient d'enregistrer les deux Concertos de Haydn
plus un concerto apocryphe avec l'Orchestre de chambre Mahler dirigé par Daniel Harding (1 CD VIRGIN 5 45583 2). Capuçon joue avec cette retenue, cette élégance, cette perfection
technique qui l'inscrivent dans la grande tradition des violoncellistes français
(Navarra, Fournier, Tortelier). Superbe.
Le disque du mois
Quatre jeunes femmes plus belles les unes que les autres, jouant avec fougue et gravité
une oeuvre désespérée dans le cloître de Silvacane : on n'oubliera pas de sitôt cette
révélation du Quatuor opus 80 de Mendelssohn par le Quatuor Psophos, lauréat
du concours de Bordeaux en 2001, qui vient de l'enregistrer (1 CD ZIGZAG ZZT 030702) avec le N° 1 de l'opus 44. On connaît surtout de Mendelssohn les
quatuors de jeunesse, à des années-lumière de celui-ci, sous-titré Requiem pour [sa
soeur] Fanny, et composé à quelques semaines de sa propre mort à l'âge de 38
ans. Une des oeuvres les plus fortes de la musique de chambre du 19ème siècle, au même
niveau que les Quatuors de Beethoven. Le Quatuor Psophos, qui a atteint par
ailleurs la maturité technique, joue avec cette fraîcheur et cette émotion
communicative que n'ont plus les vieux routards du quatuor. À Silvacane, le public avait
les larmes aux yeux. Vous les aurez aussi.