Janvier 2004
Éclectisme
En musique comme ailleurs, il y a ceux qui ont décidé, une fois pour toutes, de se
focaliser sur un domaine, plus ou moins vaste : la musique baroque, les Romantiques,
Wagner, ou bien l'orgue, l'opéra, au encore les enregistrements de Jascha Heifetz ou de
Charlie Parker. Dans le même esprit, les intégrales font recette en concert : tout
Chopin (l'été dernier à La Roque-d'Anthéron), toutes les sonates de Beethoven, etc.
Ces choix respectables sont satisfaisants pour l'esprit : il est rassurant de se penser en
spécialiste. L'éclectisme est plus facile en apparence, mais à l'opposé du
dilettantisme, il exige une ouverture, une capacité d'adaptation qui sont la marque de
l'honnête homme.
Le violon français
Les grands violonistes médiatisés d'aujourd'hui russes, américains, israéliens,
japonais pourraient faire oublier d'autant plus facilement l'école française que
celle-ci se distingue par sa mesure et sa discrétion. Trois enregistrements la remettent
en lumière.
Tout d'abord, un DVD nous rappelle que Christian Ferras (1 DVD EMI 4904439)
fut, après Thibaut et Francescatti, le paradigme du violoniste français : les Concertos
de Sibelius et Stravinski révèlent un jeu subtil et raffiné, tout d'élégance et
de clarté, et la Sonate de Franck avec Pierre Barbizet - film émouvant de
l'inoubliable duo - n'aura jamais été jouée avec une telle symbiose. Sur le même DVD,
le Concerto en ré majeur de Mozart par Zino Francescatti.
Ensuite, deux enregistrements de Gérard Poulet : les trois Sonates de Brahms,
avec Itamar Golanz (1 CD ARION ARN
68562), et l'intégrale des Sonates et
Partitas pour violon seul de Bach (2 CD ARION ARN 268640). Divine
surprise : le jeu de Gérard Poulet, qui faisait merveille dans Ravel, nous donne une
version des Sonates de Brahms inattendue, intériorisée et lyrique, et, surprise
encore plus grande, les Sonates et Partitas de Bach, éclatantes, n'ont
d'équivalent que la version historique de Nathan Milstein : du très grand violon, du
très grand Bach.
Quatuors et quintettes
Le Quatuor Alban Berg aura été le quatuor majeur de la fin du 20ème siècle, et ses
enregistrements des Quatuors de Mozart, dont les diverses versions ont été
mentionnées dans ces colonnes, restent la référence absolue. Un coffret à prix réduit
(7 CD EMI 5 855812) regroupe les Quatuors 14 à 23 (dont les six dédiés à Haydn)
dans la version de 1986-1990, les Quintettes en ut majeur et sol
mineur (avec Markus Wolf), ainsi que le Quatuor avec piano en mi bémol
majeur et une réduction par Mozart du Concerto pour piano n° 12 en la
majeur, avec Alfred Brendel (enregistrement public de 1999). Les deux quintettes, qui sont
peut-être ce que Mozart a écrit de plus intime, vous feront verser des larmes de joie.
Quant aux deux oeuvres avec piano, l'association Brendel-les Alban Berg donne le résultat
auquel on pouvait s'attendre : la perfection.
Autre enregistrement de référence : le Quatuor pour la fin du temps d'Olivier
Messiaen (pour violon, clarinette, violoncelle et piano) enregistré sous le contrôle de
Messiaen par le Quatuor Olivier Messiaen (1 CD ARION 63611). On sait que
l'oeuvre fut composée en captivité en 1943, et le choix des instruments fut fonction des
musiciens camarades de stalag. C'est une oeuvre religieuse et sereine, placée sous le
signe de l'Apocalypse de saint Jean, et, pour nous, la plus profonde et la plus accessible
de Messiaen, plus encore que la Turangalila-Symphonie.
Chant français : Berlioz, Fauré
Quatre musiciens français : Fauré et Berlioz,.et deux chanteurs, Michel Piquemal et
Françoise Pollet. Les mélodies de Fauré que chante Michel Piquemal (1 CD L'Empreinte Digitale ED 13187) comprennent les plus connues (les Berceaux, l'Horizon
chimérique) et de moins chantées, comme Fleur jetée, Les roses
d'Ispahan, sur des poèmes d'Albert Samain, Sully-Prudhomme, Catulle Mendès,
Villiers de l'Isle-Adam, Verlaine... Piquemal est un baryton à la voix chaude et
expressive ; il fait merveille dans ces pièces exquises très fin de siècle qui ne sont
rien moins que des ceuvres de salon. De Berlioz, Françoise Pollet, soprano, chante les
célèbres Nuits d'été et, moins connue, Herminie, accompagnée par
l'Orchestre de Bretagne (1 CD ARION
68585). Herminie est une oeuvre de
jeunesse écrite pour le concours du Grand Prix de Rome, qui intéressera les
inconditionnels de Berlioz. Les Nuits d'été sont ce que la musique française a
produit de plus subtil, avec Chausson, Duparc et Ravel, en matière de mélodies avec
accompagnement d'orchestre.
Volodos, Midori
Deux virtuoses, qui ont en commun leur capacité à jouer avec retenue et légèreté
lorsque l'oeuvre l'exige (voir les Sonates de Schubert par Volodos et de Poulenc
par Midori citées naguère dans ces colonnes). Volodos vient d'enregistrer, avec le
Philharmonique de Berlin dirigé par Seiji Ozawa, le Concerto n° 1 de
Tchaïkovski, et joue sur le même disque des pièces pour piano de Rachmaninov (1 CD SONY SH 93067).
Le concerto est flamboyant, comme il se doit ; les pièces de Rachmaninov aussi, avec, en
outre, une clarté et une finesse de toucher auxquelles les interprètes habituels,
préoccupés par la technique, ne nous ont pas habitués. En prime, un ébouriffant et
subtil Concert Paraphrase de Volodos sur la Polka italienne de
Rachmaninov, qui montre que, plus que tout autre, y compris Cziffra, Volodos apparaît
comme la réincarnation de Liszt.
Midori joue le Concerto de Mendelssohn et le n° 1 - le plus connu - de Max
Bruch, accompagnée elle aussi par le Philharmonique de Berlin dirigé par Mariss Jansons
(1 CD SONY SK 87740). Le jeu de Midori se distingue par une élégance, une distance, un son
aérien, qui tranchent agréablement avec les interprétations souvent insistantes
auxquelles d'autres nous ont habitués. Et malgré cela, ou peut-être grâce à cela,
vous serez profondément émus par l'adagio du Concerto de Max Bruch, comme vous
l'êtes sans doute, si vous avez la chance de les connaître, par les BD subtiles et
merveilleusement dessinées de Taniguchi.