Février 2004
Si jétais Néron, je ferais dabord
brûler tous les pianos
en France, avec la musique qui est dessus.
Raymond Radiguet, Art poétique
Baroques et autres
Avant le 18ème siècle, en Occident, on écoute ou on joue de la musique pour se divertir
ou pour accompagner un acte religieux, rarement pour éprouver une émotion profane. Le
culte de lémotion musicale, symbolisé par cette pamoison des jeunes filles
musiciennes qui exaspère Radiguet, est antérieur au Romantisme et date peut-être de
lapparition du piano, instrument autonome des intérieurs familiaux qui autorise
tous les abandons. Serait-il possible que les musiques anciennes, qui touchent si bien
lhomme daujourdhui, naient été pour ceux de leur époque
quun accompagnement aimable ou austère de leur vie, au mieux un jeu de
lintellect, quils écoutaient sans passion ? Lamour de la musique
baroque serait alors un joli contresens, ou simplement la nostalgie dune époque que
nous parons à tort des vertus de lâge dor.
Marin Marais, Rameau, Aubert
Nombre de Français ont découvert Marin Marais (1656-1728) avec le film « Tous les
matins du monde ». Cest un musicien de premier ordre que nous révèle la
publication de ses pièces de viole, dont le 4ème livre vient dêtre enregistré
par des musiciens spécialistes des instruments à cordes anciens (violone, basse de
viole, théorbe, luth) (5 CD PIERRE
VERANY PV703112/6) . Il sagit de huit Suites
dun goût français (dont deux pour trois violes) et dune vaste Suite
dun goût étranger. Lécriture est complexe et raffinée,
linvention foisonnante ; les timbres des instruments, la pulsion propre à la
musique baroque, les harmonies jamais banales et parfois hardies, particulièrement dans
la Suite dun goût étranger, tout concourt à faire de ces suites une
musique dexception à laquelle on prend un plaisir intense et qui ne doit rien à
lévocation dorée du Grand Siècle.
Avec Rameau (1683-1764), on est en terrain plus connu, et ses Concerts pour le
clavecin font partie de la discothèque de base de lhonnête homme. Cest
apparemment à un émule de Rameau que lon doit les transcriptions qui sont devenues
les Six Concerts en sextuor, que viennent denregistrer Les Talens Lyriques
dirigés par Christophe Rousset (1
CD DECCA 467 699-2). Musique également raffinée,
vivace, subtile, qui sinscrit ans la lignée de cette musique française qui, après
un 19ème siècle moins subtil, devait conduire à Debussy, Ravel, Poulenc, Milhaud.
Aubert (1689-1753), lui, sest fortement inspiré de la musique italienne et ses Concertos
à 4 violons en font une sorte de Vivaldi ou plutôt de Corelli français, que
lon pourra découvrir dans lenregistrement clair et enlevé de lensemble
Les Cyclopes de Bibiane Lapointe et Thierry Maeder (1 CD PIERRE VERANY PV703101).
De Haendel et Vivaldi à Philidor
Haendel est le seul dont la musique approche celle de Bach, par sa perfection formelle, sa
créativité, son foisonnement. On connaît aujourdhui surtout ses opéras et ses
oratorios, mais sa musique instrumentale est peut-être la partie la plus raffinée de son
uvre. LAssemblée des Honnestes Curieux vient denregistrer notamment
deux Trios et deux Sonates pour hautbois, violon et basse continue (1 CD ZIG ZAG ZZT 031 102). Si vous aimez les Brandebourgeois et les Sonates de
Bach, courez découvrir ces pièces peut-être un peu moins savantes que celles de Bach,
plus chantantes aussi (le public anglais de Haendel était moins austère que celui de
Bach), et qui réjouissent lâme. Vivaldi était lexact contemporain de
Haendel et il était intéressant de comparer, en les juxtaposant, des uvres
homologues des deux compositeurs. Cest ce que fait lensemble Arianna dans un
disque récent, qui présente deux cantates de Vivaldi et deux arias de Haendel ainsi
quun Concerto grosso de Haendel et une Sinfonia de Vivaldi, les cantates et arias
étant chantés par Robert Expert, contre-ténor (1 CD ARION ARN 68 635). Cest
sans conteste Haendel qui sort vainqueur de la confrontation, beaucoup plus créatif,
beaucoup moins répétitif, en un mot supérieur à tous égards.
Philidor, lui, bien loin de la tradition baroque, est le musicien-type du 18ème siècle
français finissant et compose une quinzaine dopéras-comiques qui, avec ceux de
Grétry, préfigurent lopérette des deux siècles suivants. Cest une musique
sans prétentions savantes, galante, enlevée, que lon peut découvrir dans
lenregistrement du Sorcier, "comédie lyrique en deux actes"
enregistrée il y a une vingtaine dannées par un ensemble de solistes et
lOrchestre de Rennes dirigé par Marc Soustrot (2 CD ARION ARN 263 608).
Le disque du mois
Un testament musical : Monteverdi, maître de chapelle de St Marc, à Venise, a 74 ans en
1640 et compose une uvre étonnante, la Selva (forêt) Morale e Spirituale,
qui regroupe en un ensemble non structuré tout son savoir, sous la forme dune
juxtaposition de toutes les formes quil a utilisées dans son uvre :
madrigaux, airs dopéra, musiques liturgiques, en reprenant pour lessentiel
des pièces quil a écrites tout au long de sa vie, adaptées à la musique sacrée
lorsquil sagissait de pièces profanes (il est prêtre). Cest ce
concentré de Monteverdi qua enregistré lAkademia, ensemble de voix et
dinstruments anciens dirigé par Françoise Lasserre (3 CD ZIG ZAG ZZT 031 101). Tout y est , même le Lamento dArianna rebaptisé Pianto
della Madonna. On se prend à rêver de ce que dautres compositeurs auraient pu
faire sur le même modèle, et même, pourquoi pas, des praticiens dautres arts,
écrivains, chorégraphes, architectes. Car le résultat est un chef duvre. Un
exemple à méditer.