Octobre 2004
Magnifique! Magnifique! criait Georg Friedrich.
Magnifique! Magnifique! criait Domenico,
donnant des coups de coude enthousiasmés
sur le clavier du clavecin.
Mesure 28. Mesure 29. Mesure 30.
Maintenant! hurla Antonio Vivaldi.
ALEJ0 CARPENTIER, Concert baroque
D'hier et d'aujourd'hui
Bernstein dirige Brahms
Pour un concert de piano, comme dans l'achat d'un disque, c'est le soliste qui dicte votre
choix. Il en va tout autrement pour la musique symphonique ou l'opéra, où c'est
l'oeuvre, d'abord, qui vous motive. Bernstein fait partie de ces rares chefs (certainement
moins de 10 au 20ème siècle) qui comptent autant, pour l'auditeur, que les oeuvres
qu'ils interprètent : il aura, comme Toscanini ou Bruno Walter, marqué la musique. Les
enregisrements de Brahms avec le Wiener Philharmoniker (1981-1982), récemment
réédités, regroupent les quatre Symphonies, Le Concerto pour violon avec
Gidon Kremer, le Double Concerto avec Kremer et Mischa Maisky, l'Ouverture
pour une fête académique, l'Ouverture tragique, et les Variations sur un
thème de Haydn (5 CD Deutsche
Grammophon 474 930-2). Comparez l'interprétation
des Symphonies avec celles de Klemperer et Furtwängler : ce sont des mondes
différents. Pour Bernstein, Brahms est un classique à la fois équilibré et chaleureux,
aux antipodes du romantique pénétré par le sens du tragique et un peu lourd, et il le
dirige non comme du Beethoven mais comme du Mozart ou du Haydn. Dans le Concerto,
Kremer joue, lui aussi, retenu, aérien, lumineux ; et le Double Concerto est du
niveau de l'enregistrement légendaire de Casals et Thibaud avec l'Orchestre de la
République espagnole.
Des symphonistes ignorés
Connaissez-vous Joachim Raff (1822-1882, Allemand) et Louise Farrenc (1804-1875,
Française)? Le 19ème siècle a été fécond en compositeurs bien oubliés depuis mais
aimés du public de l'époque, la musique contemporaine étant alors dans Le droit fil de
celle du siècle précédent. CPO a entrepris de faire revivre certains d'entre eux, et
présente de Louise Farrenc la Symphonie n° 2 et deux Ouvertures, par
le NDR Radiophilharmonie, dir. Johannes Goritzki (1 CD CPO 999 820-2), et de
Raff la Symphonie n° 7 "Alpestre" et la Jubelouverture (1 CD CPO 999 289-2),
par la Philharmonia Hungarica, dir. Werner Andreas Albert. La musique de Farrenc est bien
écrite, bien orchestrée, agréable et intelligente, du niveau de Mendelssohn. Celle de
Raff, moins élégante, plus recherchée et plus profonde, annonce Mahler et même Richard
Strauss. Les deux se découvrent avec grand plaisir.
Otto Klemperer a été chef - un des très grands, lui aussi - avant d'être compositeur,
et sa musique porte la marque de cette culture musicale encyclopédique. La
Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz, dirigée par Alun Francis, a enregistré ses deux Symphonies
et quatre pièces brèves. Il s'agit d'une musique tonale forte, superbe, à
laquelle, malgré l'influence trop évidente de Mahler, on prend un plaisir sans mélange.
Schubert
Andreas Staier joue au piano-forte la Sonate en la mineur (D 845) de Schubert (1 CD AEON AECD 0421), et c'est magnifique. D'abord, bien sûr, parce que Staier est un grand
schubertien, mais aussi en raison de la qualité du piano-forte, de facture contemporaine,
mais copie d'un instrument viennois de l'époque de Schubert, avec un son non grêle et
souffreteux comme les pianos-forte du 18ème siècle, mais proche du piano moderne, en
plus doux et donc bien en situation. La Sonate est encadrée, sur ce disque, par
une "Kontra-sonate" du contemporain Brice Pauset, pièce sympathique
inspirée par l'oeuvre de Schubert mais qui ne convainc guère : la Sonate en la
mineur se suffit à elle-même.
Mathias Goerne et Alfred Brendel ont enregistré il y a moins d'un an le Voyage
d'hiver (Winterreise) (1
CD DECCA 467 092-2). Mathias Goerne est l'un des
deux ou trois très grands barytons d'aujourd'hui; Brendel est le pianiste schubertien par
excellence. Une prise de son exemplaire ajoute à la perfection de ce disque, que l'on
écoute dans son fauteuil, les yeux fermés, au paradis, sans adjuvant d'aucune sorte. Une
tentation démoniaque vous incite à comparer cet enregistrement à celui, mythique, de
Fischer-Dieskau et Gerald Moore en 1953 (Fischer-Dieskau avait une trentaine d'années).
Stupéfaction : à l'aveugle, vous préférez l'enregistrement Goerne-Brendel. La prise de
son et la technique y sont pour quelque chose, bien sûr, mais la voix de Goerne est plus
mûre, plus accomplie. Vous, voilà à la fois heureux et malheureux : vous aimerez
toujours Fiescher-Dieskau, mais il vous semblait irremplaçable : le voilà remplacé.