Janvier 2006
Viennoiseries
Lhiver est triste, et jai vingt ans.
In Rêve de Valse, musique dOSCAR STRAUS.
Wiener Musik
En France, les valses viennoises sont souvent considérées comme une musique dune
autre époque, réservée au patinage artistique et au concert du Jour de lAn. Mais
si vous allez à Vienne, vous pourrez y voir des groupes de jeunes valser sur la terrasse
du Volksgarten aussi impeccablement que les bourgeois en habit et robe du soir dans le
foyer de lOpéra. Cette musique entraînante, de plaisir pur, Robert Stolz, qui en
fut le pape incontesté de 1898 à 1975, en a enregistré avec le Berliner Symphoniker et
le Wiener Symphoniker un florilège en un coffret (12 CD RCA Red Seal) où figure
lessentiel des compositions de la famille Strauss (Johann père et fils et Joseph),
y compris polkas et marches (dont la Marche Radetsky rendue célèbre par le
roman de Joseph Roth), et les valses de Lanner et Ziehrer. On pourra regretter
quOscar Straus (un seul S), qui composa pour les films de Max Ophuls, Franz Lehar,
Kalman, soient sous-représentés, mais il y a là, à un moment où lOccident est
gagné par la morosité et la mélancolie et pas seulement en musique un
témoignage de cette joie de vivre qui fut, il y a un siècle, la marque de la vieille
Europe.
Pour se faire plaisir
Le Festival de Salzbourg 2004 a permis de redécouvrir la musique dErich Korngold,
élève de Mahler et Zemlinski, plus connu aujourdhui par les musiques de film
quil écrivit entre 1938 et 1946 à Hollywood où il était exilé, que par sa
musique de chambre et ses uvres symphoniques. Un disque récent présente quatre
uvres enregistrées live au Festival, dont la Suite pour deux violons,
violoncelle et piano, la musique de scène de Beaucoup de bruit pour rien,
et le Concerto pour violon et orchestre (qui fut créé par Heifetz), avec
Benjamin Schmid et le Philharmonique de Vienne dirigé par Seiji Ozawa (1 CD OEHMS OC 537).
Ces pièces très élaborées, rigoureusement tonales, qui doivent beaucoup à
Tchaïkovski, Brahms, Mahler, laissent entrevoir ce quaurait pu être la musique
austro-allemande du XXe siècle si lÉcole de Vienne navait pas entraîné ses
disciples dans une impasse.
Sous le titre French orchestral miniatures, lOrchestre Philharmonique de
Bohème, dirigé par Douglas Bostock, a enregistré des pièces de musique française du
20ème siècle, parmi lesquelles Le peintre et son modèle de Georges
Auric, Petite Suite dAlbert Roussel, Félicie Nanteuil de Jacques
Ibert, Pièce brève sur le nom dAlbert Roussel, de Poulenc, Trois Rag
Caprices de Darius Milhaud (1
CD Scandinavian Classics 220530-205). Musique
charmante, sans prétention mais finement écrite, qui fait passer le plaisir avant
linnovation et qui, quoi quen disent les académistes contemporains, aura
marqué la musique française de la première moitié du siècle dernier, plus que des
uvres plus ambitieuses
et plus ennuyeuses aussi.
Cest aussi pour se (et nous) faire plaisir que Jean-Marc Apap, le violoniste
jazzman et tzigane comme devraient lêtre tous les violonistes (nest-ce pas
Ivry Gitlis, Gidon Kremer, Itzak Perlman ?), a enregistré à lalto trois des Suites
pour violoncelle seul de Bach (1
CD ZIGZAG ZZT051103). Ce nest pas seulement
la différence de timbre qui fait de ces adaptations des pièces originales : le jeu de
larchet permet à lalto une vélocité et une régularité plus difficiles à
atteindre avec le violoncelle. Et Apap, tout en ne sécartant pas dun pouce de
ce qui est écrit, swingue comme Grapelly. Bach, grand amateur de transcriptions, aurait
aimé, cest sûr, de même quil naurait pas renié larrangement
pour alto et quatuor à cordes des chorals Nun komm, der Heiden Heiland et
An Wasserflüssen Babylon, qui complètent le disque.
DVD musicaux
Les DVD musicaux sont, pour peu que lon dispose dun bon équipement vidéo et
hi-fi, laboutissement suprême de ce que la technique fait pour lart : à la
différence du concert, les musiciens jouent pour vous seul, personne ne tousse, et
lon peut voir sur le visage des interprètes se dessiner chaque note. Nous citerons
trois DVD récents qui constituent un bon échantillon de ce que lon peut faire de
mieux dans trois registres différents.
En matière darchives, sous le titre Francis Poulenc et ses amis, sont présentés
le Concerto pour deux pianos et orchestre, enregistrement historique de 1962 par
Poulenc et Jacques Février avec lOrchestre National dirigé par Georges Prêtre, le
Concerto pour orgue, cordes et tympans par Jean-Jacques Grünenwald et
lOrchestre Philharmonique dirigé également par Georges Prêtre, la Sonate pour
flûte et piano par Jean-Pierre Rampal et Robert Veyron-Lacroix, des Chansons par
Gabriel Bacquier (1 DVD EMI 42), etc. La technique vidéo nétait pas ce quelle est
aujourdhui, ni la mise en images, mais les interprètes mythiques font
de ce disque un incunable pour les amoureux de la musique de Poulenc (on peut voir, enfin,
comment Poulenc voulait que lon jouât landante mozartien du Concerto pour
deux pianos).
Les Paladins, lopéra de Rameau, a été enregistré live en 2004 au
Châtelet par William Christie et ses Arts Florissants dans la mise en scène de José
Montalvo, avec la distribution qui enthousiasma la critique lan dernier (1 DVD OPUS ARTE OA 0938 D). Cest un régal des sens : voix, costumes et décors, chorégraphie,
tout est parfait, et lon voit chaque détail, chaque jeu de scène, grâce à une
mise en images raffinée, mieux quaucun spectateur na pu lapercevoir.
Le Quatuor Alban Berg a fait des Quatuors de Beethoven, à la fin des années
quatre-vingt, en même temps quil les jouait en tournée (concerts inoubliables à
Paris en 1989) un enregistrement qui, depuis, est resté la référence absolue. Voir les
Alban Berg jouer cinq de ces quatuors (5, 6, 8, 9, 16) au Wiener Konzerthaus vous situe en
un improbable nirvana : aucune inflexion ne vous échappe, chaque échange de regards se
traduit instantanément dans la phrase musicale. Les dieux sont là, devant vous, dans
votre salon, magiciens attentifs et chaleureux, vous essuyez une larme, cest le
bonheur total.