Mai 2006
Faciles et moins faciles
Pour obtenir le succès, il faut écrire des choses
si compréhensibles quun cocher pourrait les chanter
ensuite, ou bien, si incompréhensibles quelles plaisent
justement parce quaucune créature raisonnable
ne peut les comprendre.
W. A. MOZART, Lettre à Léopold, 1782.
Encore Mozart
Assez de Mozart pour cette année, vous êtes vous promis, sauf à sortir des sentiers
battus. Chiara Bianchini et son Ensemble 415 (23 musiciens) ont précisément enregistré
trois uvres peu jouées de la jeunesse salzbourgeoise de Mozart : la Cassation KV
63, écrite à 11 ans, la Serenata Notturna, composée neuf ans plus tard et qui
annonce la musique de la maturité, et, de la même époque, lextraordinaire Concertone,
sorte de concerto pour plusieurs instruments solistes (deux violons, hautbois,
violoncelle) (1 CD ZIG ZAG ZZT
060301). Dans le même esprit petit
effectif, tous solistes le Quatuor Debussy et le pianiste François Chaplin jouent
les transcriptions, de la main de Mozart, des Concertos pour piano 11 et 12 (1 CD ARION ARN 68718) : deux petits chefs-duvre, dont la formation quintette, piano
et cordes et une prise de son intimiste révèlent les subtilités mieux que la version
orchestrale, et quaccompagne lAdagio et fugue en ut mineur, moderne
hommage à Bach.
Friedrich Gulda, connu pour les improvisations jazziques de sa période
flower-power , touché sur le tard par la révélation de Mozart, avait enregistré
en privé dix Sonates et la Fantaisie en ut mineur, retrouvées
récemment et que DGG vient de publier (3
CD DGG 289 477 6130). Cest clair, délié,
à la Glenn Gould, dune régularité de jazzman, joué comme on joue Bach, sans
romantisme, très intéressant, malgré quelques imperfections techniques.
Symphonies de Chostakovitch
On célèbre le 100ème anniversaire de la naissance de Chostakovitch et lon
redécouvre sa musique comme on avait redécouvert celle de Mahler il y a trente ans, et,
ce, grâce à une nouvelle génération de chefs russes : Valéry Gerguiev, bien sûr, et
aussi Mikhaïl Pletnev, superbe pianiste passé à lorchestre, et Vladimir Jurowski,
qui dirigent lOrchestre National Russe lun des quatre ou cinq meilleurs
orchestres du monde le premier dans la Symphonie n° 11 (1 SACD PENTATONE PTC 5 186 076) ( Lannée 1905 ), le second dans les Symphonies 1 et
6 (1 SACD PENTATONE 5 186 068). On connaît bien le style orchestral si particulier de Chostakovitch, qui
fait appel à des orchestres de grande dimension où cuivres et percussions sont mis en
valeur, dans des compositions dramatiques, tourmentées, contrastées, où
lévocation du grotesque côtoie le pathos, et qui atteignent à la vraie grandeur,
au point de faire apparaître Beethoven comme fade et suranné. De la 1ère Symphonie écrite
en 1924 à dix-neuf ans à la 11ème, composée en 1957, lune des plus
belles avec les Symphonies Leningrad et Babi
Yar , il y a une unité de ton exaltation-amertume-révolte, où lon ne
peut sempêcher de voir, comme le suggère la vie de Chostakovitch sur le fil du
rasoir, la nostalgie de ce quaurait pu être le communisme sil navait
sombré dans le totalitarisme en engloutissant à jamais lutopie dun âge
dor.
Voix
Chostakovitch na pas composé que des symphonies et des quatuors, et un tout nouveau
disque permet de faire la connaissance de ses mélodies pour basse et orchestre, avec
Oldar Abdrazakov et le BBC Philharmonic dirigé par Gianandrea Noseda (1 CD CHANDOS 10358)
: Suite sur des paroles de Michel-Ange, Six Romances sur des poèmes de
Raleigh, Burns et Shakespeare, et, en prime, le poème symphonique Octobre.
Les mélodies sont plus austères que les symphonies, mais lorchestration est
toujours foisonnante. Le contraste est saisissant avec les mélodies de Britten pour
ténor et orchestre, enregistrées par Ian Bostridge et le Philharmonique de Berlin
dirigé par Sir Simon Rattle (1 CD
EMI 5 58049 2) : les Illuminations de
Rimbaud, Sérénade (avec cor) sur des poèmes de Blake, Keats, Ben Johnson,
etc., Nocturne sur des textes de Shelley, Tennyson, Coleridge, Wordsworth,
Shakespeare, etc. Une musique extrêmement raffinée et subtile, la quintessence de
lart européen, que Bostridge détaille avec une telle finesse gourmande quon
la croirait écrite pour lui.
Piano
Lenregistrement par Aldo Ciccolini en 1966-1967 des Goyescas de Granados et
de la suite Iberia dAlbeniz na pas pris une ride et il faut se
réjouir que EMI le publie en CD (2
CD EMI 4 78906 2) : cest le sommet de la
musique espagnole de piano du 20ème siècle, et lun des sommets de la musique de
piano tout court. Le toucher très fin de Ciccolini fait merveille dans les constructions
complexes et les harmonies délicieuses de Granados, comme dans les mélodies et les
rythmes dAlbeniz. Une interprétation de référence, inégalée.
Plus anciens (1947-1954) sont les enregistrements quAlfred Cortot, pianiste
légendaire, a faits de Chopin (Tarentelle, Études, Valses),
Mendelssohn (Variations sérieuses), Schumann (Scènes denfants, lOiseau
prophète), Debussy (Childrens corner, Préludes livre 1) (2 CD EMI 351857 2),
et plus datées les interprétations : nous sommes accoutumés à de jeunes pianistes à
la technique dacier et au jeu souvent métronomique, tandis que lon jouait
alors plus rubato et que la technique passait au second plan. Néanmoins, lhonnête
homme daujourdhui ne peut ignorer les interprétations de Cortot, qui ont
marqué une époque, et Cortot dans Debussy vision impressionniste restera
au-delà des modes.
La musique de piano de Szymanowski et celle pour piano et violon, beaucoup moins connues
que son Concerto pour violon, sont à découvrir toutes affaires cessantes. Études,
Métopes, Masques (dédiés à Cortot), Mazurkas, joués par
Mikhaïl Rudy, et, avec Ulf Hoelscher au violon, Mythes, Romance, Trois
Caprices de Paganini, Nocturne et Tarentelle, révèlent un
compositeur très original, préoccupé par la couleur, et qui a plus innové en musique
tonale que son contemporain Richard Strauss.
Pour le plaisir
On se contera de citer, par manque de place, deux très jolis disques : lun du
Groupe des Six par cinq musiciens dune exquise élégance dont Gérard Poulet et
Christian Ivaldi : Sonatine pour violon et piano de Germaine Tailleferre, Sonatine
pour clarinette et piano dArthur Honegger, Sonatine pour flûte et piano du
peu joué Louis Durey, Suite Le Printemps pour piano de Darius
Milhaud, Imaginées de Georges Auric, et la merveilleuse musique de scène de
Poulenc pour LInvitation au château de Jean Anouilh (1 CD ARION ARN 68652), à déguster dans un fauteuil de cuir avec un verre de banyuls ;
lautre de musique ibérique et sud-américaine pour guitare (Manuel Ponce, Rodrigo,
Falla, Turina, Villa-Lobos, etc.) enregistrée en 1969 par Alberto Ponce (1 CD ARION ARN 60678), à écouter assis dans un fauteuil de rotin, dans un jardin exotique, en
buvant non du xérès mais, si vous le pouvez, un verre de pulque ou, à défaut,
dune très bonne tequila.