Février 2007
Musiques de joie
La musique devrait
toujours être joyeuse,
même si elle est tragique.
Bohuslav Martinu
Deux quatuors
Ceux qui considèrent Dvorak comme un compositeur un peu rustique et même mineur ne
connaissent pas son 13e Quatuor. Dvorak
était, on le sait, un être tourmenté dont la musique, presque toujours joyeuse,
apparaît comme un antidote à son anxiété, excellente illustration de laphorisme
de Martinu. Le 13e
Quatuor est une uvre complexe qui, tout au
long de ses quarante minutes, nous transporte de lunivers brahmsien à celui de la
musique atonale, dans une atmosphère chaleureuse, même dans le superbe adagio, à la
fois tragique et heureux, très slave au fond. Une musique charnue et riche en harmonies
et mélodies comme on dit dun repas quil est riche interprétée
par un quatuor généreux et précis dans sa fougue, le Quatuor Artemis (1 CD EMI 0946 353399 2 5). Le Quatuor « Lettres intimes »
de Janacek, qui figure sur le même disque, composé trente années après le 13e de Dvorak, est plus connu. Rugueux et sensuel, à la
fois tourmenté et dun lyrisme brûlant, cest un des sommets de la musique de
quatuor du XXe siècle, aussi innovateur que les quatuors de Bartok. Janacek,
épuisé par une vie compliquée, mourut peu avant la première exécution de « Lettres intimes ».
Délices (baroques) et orgues
Pietro Della Valle (1586-1652) aurait pu être un personnage de fiction et son voyage de
onze ans en Orient un roman picaresque. Cétait aussi un librettiste et un
compositeur. Sous le titre « Pellegrino » (pèlerin), Arion publie dans sa collection
Musique des Lumières son oratorio « Per la Festa della
Santissima Purificazione » par un ensemble vocal et instrumental dirigé par
Jean-Christophe Frisch (1 CD ARION
ARN 68716). On laissera au lecteur le soin de
découvrir les péripéties de son voyage, à la fois tragique et fabuleux, dans le livret
du disque. Léditeur a accompagné le court oratorio par une vingtaine de musiques
que lon jouait, à lépoque, dans les lieux visités par Della Valle,
Constantinople, Jérusalem, Alexandrie, Bagdad, Ispahan, Goa, Calicut, y compris des
pièces traditionnelles à la vina et à loud.
Jean-Adam Freinsberg, dit Guilain, fut lun des grands organistes français du début
du XVIIIe siècle. Son Magnificat
constitue un fantastique substrat sur lequel un organiste peut exercer ses talents
dinterprète, surtout sil dispose dun orgue dexception. Cest
le cas des orgues de Cintegabelle, sur lesquelles Erik Feller joue les quatre Suites qui
composent ce Magnificat (1 CD ARION ARN 68725). Si vous aimez lorgue flamboyant, vous serez comblé par ce disque
qui bénéficie dune prise de son exceptionnelle, pour un instrument hors du commun.
Le disque du mois : une anthologie
Paul Eluard avait publié autrefois une anthologie de la poésie française en lui donnant
dans un premier temps le titre paradoxal : « Le meilleur choix de poèmes est celui que
lon fait pour soi. » Et chacun de nous a bien, dans sa bibliothèque, sa
discothèque ou tout simplement dans sa tête, son anthologie au moins implicite, tout
comme les utilisateurs de lecteurs MP3 se constituent leurs petites anthologies
personnelles. Celle que nous propose le pianiste norvégien Leif Ove Andsnes, sous le
titre Horizons (1 CD EMI 3 41682 2), rassemble
une vingtaine de ces pièces mineures par leur durée mais majeures par le plaisir
quelles nous procurent, que les pianistes éclectiques jouent parfois en bis
sils cherchent non à épater leur public mais à faire en sorte quils
quittent in fine le concert réjouis et
lâme légère, et que les jeunes filles du temps de Proust auraient peut-être
égrenées dans le salon de leurs parents si elles avaient eu la curiosité daller
au-delà des pièces à la mode dont elles faisaient leur ordinaire. On découvre
ou lon redécouvre ainsi une Étude
de Sibelius, un Impromptu de Scriabine, la Polka de Chostakovitch, un Choral de Bach, une Étude
de concert de Smetana, un Paisaje de Mompou
(particulièrement exquis), et même
un arrangement de
Coin de rue, la chanson de Charles Trenet. Comme tous ces morceaux de musique sont
joués par un interprète dont le toucher révèle une infinie palette de couleurs, on
sort de cette heure découte serein, joyeux et rêveur comme à la fin dune
promenade dans un jardin après la pluie.