Les
X et le Jazz
Fréderic SICHLER (72)
Article paru dans la
Jaune et la Rouge en janvier 1987 (numéro spécial "Les X, les lettres et les
arts")
reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur et de la Jaune et la Rouge.
Nos camarades n'occupent qu'une place marginale dans cette musique « de nègres et
de bastringue » nommée Jazz. Certes, la plupart des promotions ont eu, durant leur
séjour à l'École, leur "jazz", mais je ne crois pas faire injure à ceux qui
y participèrent en disant qu'aucun d'eux n'a mérité de passer à la postérité.
Il existe cependant un cas particulier d'une espèce assez rare, car il s'agit d'un
musicien qui, bien qu'étant toujours resté amateur ( on appelle amateur celui dont la
musique ne constitue pas Ie principal moyen d'existence, même s'il fait quelques cachets
ici et là ), a acquis une notoriété s'étendant au-delà des frontières : Claude
Abadie (promo 38). Pourquoi cette notoriété qui, soit dit sans vouloir le
froisser, même s'il s'est souvent mêlé aux musiciens professionnels, dépasse ce que
justifierait son seul talent ?
Il y a à cela deux raisons. D'abord et surtout, il a été, à la fin de la guerre, le
premier à occuper un créneau qui s'est ensuite révélé très porteur, celui du jazz
traditionnel tel qu'on le jouait à la Nouvelle Orléans au début des années 20, et qui
était tombé en désuétude. Il était le premier en France, mais, curieusement, le même
phénomène se produisit simultanément en Angleterre, aux États-Unis, en Australie, tous
pays avec lesquels les relations étaient interrompues. Dans cette voie, se sont
engouffrés ensuite nombre de musiciens parmi lesquels le Français le plus connu est
Claude Luter. La vogue de ce qu'on appela le "revival" fut telle qu'aux
Etats-Unis des impresarii allèrent rechercher des ancêtres néo-orléanais depuis
longtemps retirés du business pour les projeter sur des estrades d'où ils crachèrent
leurs dernières dents (le fameux Bunk Johnson en est un triste exemple). Les historiens
du jazz évoquant ce phénomène ne manquent pas de mentionner le rôle qu'y a joué
Abadie (voir notamment "The Making of Jazz", par James Lincoln Collier,
Dell Publishing Co, Inc, pp. 284, 334 335, - "Jazz" par André Francis,
Éditions du Seuil, pp. 112 et 224.).
Claude Abadie |
Une deuxième raison, ultérieure, fut la
célébrité posthume de Boris Vian dont nul n'ignore qu'il joua de la
"trompinette" dans l'orchestre de Claude Abadie. D'où nombre d'articles dans
les gazettes, et la réédition, vingt-cinq ans après, de disques sous le nom de
"Boris Vian avec l'orchestre de Claude Abadie", dont d'ailleurs certaines plages
sont constituées de fonds de tiroir qui n'ajoutent rien à la gloire de notre camarade.
Sorti du faisceau des projecteurs, Abadie n'en continue pas moins à jouer, mais du jazz
moderne, si l'on désigne ainsi les musiques nées après la guerre. II dirige depuis
maintenant vingt ans - un record de longévité - un orchestre de 10 musiciens pour lequel
les parties improvisées sont imbriquées dans des orchestrations d'une écriture assez
savante. Cet ensemble donne de temps en temps des concerts, malheureusement trop
confidentiels.
ADDITIF OU CODICILLE...
Claude ABADIE (38)
... à l'article que Frédéric Sichler a bien voulu
me consacrer. Contrairement à ce qu'il dit, mon cas n'est pas unique - bien que tout
être soit unique et irremplaçable - mais il est bien excusable de l'ignorer car un jeune
musicien amateur, François de Larrard en l'occurrence, a deux raisons de
n'être connu que de quelques spécialistes : il est jeune, et il est amateur.
Il n'est pas dans l'esprit de ce numéro spécial de parler individuellement des musiciens
amateurs. La liste en serait trop longue et sûrement incomplète. Mais François de
Larrard est dans une situation particulière : après avoir fait de solides études de
piano classique, il s'est mis au jazz pour lequel il avait un goût prononcé, au point
que, pendant qu'il était à l'X (promo 78), il s'est sérieusement posé la question d'en
faire sa profession. La raison et les conventions prenant le dessus, il a fait les Ponts
à titre civil, puis est entré comme chercheur au Laboratoire Central des Ponts et
Chaussées. Maintenant, parallèlement à son métier d'ingénieur, il fait du jazz, comme
moi et beaucoup d'autres mais à un niveau professionnel et avec des professionnels. II
donne des concerts ici et là, seul ou en trio (avec contrebasse et batterie), il joue en
petite formation, et après avoir gagné un concours en Belgique, il a été sollicité
par la BRT, la Radio bruxelloise de langue flamande, pour enregistrer avec le big band de
la BRT. A cette occasion, il a composé et arrangé trois oeuvres originales - dont une
suite assez ambitieuse - qu'il qualifie de balbutiements mais qui montrent déjà de
réelles qualités, en tout état de cause très au-dessus du niveau des bons amateurs.
Comme par ailleurs il se passionne pour la physique des matériaux, il est difficile de
prévoir la suite, mais François de Larrard est un jeune homme à suivre.